top of page

Pourquoi il faut résolument défendre la liberté pédagogique

La liberté est la première valeur de notre pays, le tout premier mot de la devise républicaine. Eduquer les enfants à la liberté : telle est donc la première mission de l’école publique   – et même sa seule mission, car elle englobe toutes les autres. Il s'agit «de rien moins que de faire des esprits libres », comme l’affirmait Ferdinand Buisson, et la laïcité de l’école est au service de cet objectif.

La question du « comment » reste en suspens. Il est clair qu’une pédagogie frontale, dite, à tort « transmissive », qui s’apparente à une éducation cléricale dans laquelle la parole seule de l’enseignant remplace la vérité révélée - le maître a parlé, le fidèle répète – ne favorise guère l’exercice du libre arbitre, ni la réflexion, l’engagement ou la prise d’initiative des élèves. Une telle pédagogie est par nature incomplète et non conforme au socle commun, puisque les attitudes n’y sont pas développées.

Pour autant, tout enseignant doit bel et bien transmettre un savoir identifié par les programmes, le socle commun, et le LSU, avec des effectifs et dans des conditions matérielles données.  Dès lors, comment permettre aux élèves de construire des connaissances et d’exercer des capacités sans formater l‘esprit et éteindre l’envie de savoir ? La démarche d’investigation et la pédagogie active, la mise en place de projets sont de premières réponses que ce site entend nourrir.

 

Mais il est clair qu’on ne peut apprendre la liberté qu’en la pratiquant, et que pour l’exercer, l’enseignant lui-même doit être un homme libre de ses choix. C’est pourquoi la liberté pédagogique est reconnue par la loi.

Article L912-1-1 Création Loi n°2005-380 du 23 avril 2005 - art. 48 () JORF 24 avril 2005

La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection.

Cette liberté n'est donc pas absolue. Du reste, en classe, elle se joue nécessairement entre trois pôles, constitutifs de toute situation pédagogique : le professeur, le savoir, l'élève. C'est le triangle pédagogique, formalisé par Jean Houssaye. On se reportera aux nombreux articles qui décrivent ce concept, sur l'internet. 

 

 

 

 

 

Trois postures professionnelles - ou "styles pédagogiques" - en découlent, selon le pôle qui est privilégié dans la pratique : 

                         - centration sur le maître : cours magistral (pédagogie dite traditionnelle) - Charisme de l'enseignant

                         -  centration sur le savoir : recours à l'exercice sur manuel ou fichiers - Motivation extrinsèque

                         - centration sur l'élève : recours à l'environnement et à la découverte, méthode naturelle -

                                                                                                                                                               Motivation intrinsèque. 

La conscience professionnelle amènera l'enseignant(e) à ne négliger aucun des trois pôles, et à faire varier la situation pédagogique en fonction des goûts, des besoins, des compétences de chacun. , car  les différentes centrations correspondent "en creux" à des publics scolaires différenciés. Le cours magistral, où le maître détient le savoir et le transmet par la parole, nécessite un public acceptant l'autorité du maître, et capable d'écoute. L'exercice du manuel nécessite quant à lui une motivation extrinsèque bien présente chez les "bons élèves" mais parfois mal partagée par d'autres...Le recours à l'environnement est quant à lui porteur d'un sens immédiat susceptible de mobiliser les élèves les plus éloignés de la culture scolaire. 

La liberté pédagogique consistera à opérer des choix éclairés, et  utiliser tout à tour ces trois postures professionnelles en fonction des situations.

Ainsi, loin d'être une facilité,  un "laisser aller" ou une marque de laxisme, la liberté pédagogique est au contraire un principe de responsabilité, une exigence : le métier ne consiste pas à débiter leçons et exercices stéréotypés, et c'est au contraire à l'enseignant(e) qu'il revient de chercher ses ressources, d'élaborer ses outils, de réfléchir à ses démarches, en fonction de la réalité du public scolaire qu'il accueille. On ne lui demande pas de se conformer à de prétendues bonnes pratiques qui seraient valables partout, encore moins de manigancer un faire-semblant de surface  : il doit obtenir des résultats dont il aura à rendre compte.

Le rôle des inspecteurs mérite d’être ici souligné : loin d’attenter à la liberté pédagogique, ils en sont le garant, en tant que fonctionnaires recrutés, formés et seuls habilités à contrôler le respect du cadre institutionnel.  La liberté pédagogique est en effet une nécessité professionnelle : il s’agit d’être en mesure de s’adapter en souplesse à la réalité de chaque classe, et d’utiliser à bon escient, selon les cas, les moments, les publics et les matières, telle ou telle méthode, manuel, fichier ou projet. C’est par cette souplesse d’adaptation qu’elle permet, que la liberté pédagogique garantit l’égalité réelle des enfants et des jeunes devant l’instruction, et qu’ainsi elle met en œuvre, au profit des enfants les plus éloignés de la culture scolaire, la fraternité en acte.

La liberté pédagogique est le contraire du dogmatisme, elle est ouverte, tolérante et plurielle. Elle est la marque de la confiance faite aux enseignants. Elle pourrait pourtant être remise en cause par la prétention patinée de scientisme de certains hiérarques de la bureaucratie ministérielle, qui tentent d’imposer de soi-disant « bonnes pratiques » ou encore de "donner des instructions précises sur la pédagogie".  

Le ministre, plutôt que de prétendus experts de cabinet  n’ayant pour la plupart jamais enseigné à des enfants, devrait peut-être mieux commencer par demander l'avis des vrais spécialistes, c'est à dire les enseignants eux-mêmes, pour savoir ce qui fonctionne ou pas. Peut-être alors apprendrait-il qu'il n'existe aucun "bon manuel". S’ils peuvent être utiles à la marge, ils sont, en cas d’usage intensif, inefficaces et nuisibles par principe : ils sont conçus pour les programmes et non pas pour les élèves, ne comportent dans la plupart des cas aucune possibilité de différencier, aucune autonomisation possible, enseignement standardisé, stérilisé et d'une pauvreté extrême, abêtissement des professeurs auxquels on demande juste de suivre une recette conçue par des technocrates.

Peut-être le ministre apprendrait-il qu'on ne trouve dans les classes aucune "méthode globale"  d'apprentissage, qui n'existe pas,  même si toute  lecture authentique est globale, et qu'il est absurde et imbécile de vouloir résumer l'apprentissage de la lecture au simple déchiffrage syllabique.

Peut-être alors apprendrait-il que "les neurosciences" en ce qui concerne la lecture se résument à une seule et unique personne, qui s'est contentée de publier des conclusions fantaisistes dans un bouquin grand public, sans lien avec ses recherches, et en dehors de son champ de compétence.
 
Peut-être alors apprendrait-il qu'on peut enseigner sans manuel, à partir de la vie naturelle de la classe, des activités et des projets divers et variés, que ça s'appelle la "méthode naturelle", qu'elle a fait la preuve de son efficacité depuis près d'un siècle, et qu'il serait sans doute judicieux de s'appuyer sur ceux qui la pratiquent et la connaissent parfaitement pour y former leurs pairs.

Quant à nous, pour résister au formatage de prétendues formations expertes et validées, nous n’oublierons pas que « Liberté, liberté chérie » est l’hymne de notre pays, qui de tout temps a même répandu cet air de liberté au-delà des frontières.

La liberté pédagogique garantit l’égalité et la fraternité, elle est non seulement un droit mais une véritable barricade à défendre pour ceux qui se sentent, à l’appel de Philippe Meirieu, le devoir de résister . 

cda20_focus_delacroix_liberte-tt-width-970-height-545-fill-1-crop-0-bgcolor-ffffff.jpg
pedagogie-devoir-resister (1).jpg

« Je suis né pour te connaître, pour te nommer : Liberté. » Paul Eluard                                                                                               

« Triangle pédagogique » : notion introduite par Jean Houssaye qui permet, en effet, de comprendre bien des questions et des débats pédagogiques à travers un modèle qui met en relation l’élève, le maître et le savoir. On peut ainsi repérer la manière dont ces trois pôles s’articulent, identifier les situations où l’un de ces pôles « prend la place du mort » et repenser utilement, à la lumière de ces analyses des questions aussi importantes et débattues que l’autorité, le cours magistral ou la gestion des classes hétérogènes ( Philippe Meirieu in Source : http://meirieu.com/ACTUALITE/cafe_peda_chro_1.pdf)

Triangle_pedagogique.png

Ferdinand Buisson, directeur de l'enseignement primaire de 1879 à 1896, député radical-socialiste et fondateur de la Ligue des droits de l'homme) - Discours au congrès de 1903 du parti radical.

« Le premier devoir d'une République est de faire des républicains ; et l'on ne fait pas un républicain comme on fait un catholique. Pour faire un catholique, il suffit de lui imposer la vérité toute faite. Pour faire un républicain, il faut prendre l'être humain si petit et si humble qu'il soit (un enfant, un adolescent, l'homme le plus inculte, le travailleur le plus accablé par l'excès de travail) et lui donner l'idée qu'il peut penser par lui-même, qu'il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c'est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d'un maître, d'un directeur, d'un chef quel qu'il soit, temporel ou spirituel. Est-ce qu'on apprend à penser comme on apprend à croire ? Croire, c'est ce qu'il y a de plus facile ; et penser, ce qu'il y a de plus difficile au monde. Pour arriver à juger soi-même d'après la raison, il faut un long et minutieux apprentissage ; cela demande des années, cela suppose un exercice méthodique et prolongé. »

1136_portrait_de_ferdinand_buisson.jpg
bottom of page