
Une œuvre d’art peut-elle constituer un support d’apprentissage de la lecture ?
Ecoutons Marcel Proust : « Une cathédrale n'est pas seulement une beauté à sentir , c'est encore un livre à comprendre. Le portail d'une cathédrale gothique, et plus particulièrement d'Amiens, la cathédrale gothique par excellence, c'est la Bible. Le porche d'Amiens est un livre de pierre, une Bible de pierre - c'est « la Bible » en pierre. » (1)
Toute œuvre d’art – poème, sculpture, tableau, musique – est un langage qui transpose une idée, une intention d’ordre spirituel, dans un matériau sensible. Les innombrables tableaux religieux ou mythologiques, par exemple, racontent, interprètent ou illustrent un récit. On peut donc bien parler de lecture, entendue au sens de mise en relation de données recueillies par la vue et soumises à interprétation :
« La lecture est le véritable mode d'expérience de l'oeuvre d'art, il y a lecture non seulement des textes, mais aussi bien des oeuvres plastiques et des édifices. »
Hans-Georg Gadamer (2)
Ainsi, lire ce n’est pas seulement savoir déchiffrer un texte sur commande , même en y surajoutant "le ton". La lecture est une activité de recherche qui suppose une attitude, un véritable engagement du lecteur dans une construction de sens. C'est le développement de cette attitude que la lecture des oeuvres d'art peut favoriser chez les jeunes lecteurs.
Isis - Musée Granet. Aix-en-Provence
Techniquement, toute forme de lecture, qu’elle soit littéraire ou artistique, constitue une compétence , au sens du socle commun, c’est-à-dire une «aptitude à mobiliser ses ressources (connaissances, capacités, attitudes) pour accomplir une tâche ou faire face à une situation complexes ou inédites. » ( Annexe à l’article L122-1-1 6 . Loi du 8 juillet 2013.) «Compétences et connaissances ne sont pas en opposition. Leur acquisition suppose de prendre en compte dans le processus d'apprentissage les vécus et les représentations des élèves, pour les mettre en perspective, enrichir et faire évoluer leur expérience du monde. » ( Code de l’Education, même article)
Etonnement, curiosité, ouverture d’esprit, envie de s’engager et de produire… Trop souvent négligées comme allant de soi, ces attitudes sont fondamentales et doivent être mobilisées dès l’entrée dans les apprentissages. Ce sont ces attitudes que la confrontation avec les oeuvres d’art, énigmatiques par essence, va permettre de mobiliser et de développer chez l’élève. A cette fin, on trouvera dans ce menu déroulant des présentations d'oeuvres d'art de toute nature ( peintures, sculptures, photos, poèmes, chansons...) proposées à l'étude dans les classes , selon une seule démarche : le questionnement, l'investigation, par l'élève lui-même. Car « Apprendre, c’est questionner le monde » ainsi que le stipule le programme du cycle 2 publié au BO 31 du 30 juillet 2020 (3)
Concrétement, en classe, on partira de ce que l'on voit et que l'on décrit (lecture dénotative) pour aller jusqu'à l'interprétation qui donne du sens à ce que moi je vois (lecture connotative). On ira du regard à l’expression, du lire à l’écriture. Pour la production, on cherchera les correspondances entre ce que l’on voit, et ce qu’on a pu lire ou écrire : La méthode des correspondances poétiques consiste à utiliser à des fins pédagogiques les relations entre différents modes d’expression, verbale, plastique, gestuelle, musicale, corporelle, dramatique, photographique, audio-visuelle, etc. On s'inspire ici de Charles Baudelaire : « Les couleurs, les parfums et les sons se répondent » (Baudelaire « Correspondances » - Les Fleurs du Mal.)
En complément des pratiques ordinaires de la classe, qui peuvent être plus traditionnelles (4) , on privilégiera ici une démarche de pédagogie active, qui s’appuie sur le désir naturel qu’a l’enfant de grandir en comprenant et en agissant sur le monde qui l’entoure, ce sera une pédagogie de projet, qui inscrit l’apprentissage dans le temps et le réel, en finalisant l’activité par une production. L’objectif est de provoquer des attitudes, d’exercer des capacités et de transmettre des connaissances, qui sont rien moins que les objectifs du socle commun (6)
Notes :
-
Marcel Proust, préface à sa traduction de « La Bible d’Amiens » de John Ruskin disponible sur Gallica bnf.
-
Hans-Georg Gadamer, « Vérité et méthode : les grandes lignes d’une herméneutique philosophique » (Points, essais 1996)
-
Eduscol -
-
Voir ici même , à propos de la liberté pédagogique :
-
Maîtriser une compétence :
-
Art à lire et objectifs du socle commun :
Ci-dessous : Cathédrale Notre-Dame d'AMIENS
La "Bible de pierre" de John Ruskin et Marcel Proust.
