
ART ET PEDAGOGIE :
LA STRATEGIE DE L'ENIGME
"La stratégie de l'énigme" : c'est sous ce titre paru en 2006 aux éditions Galilée, que le poète Yves Bonnefoy livre une interprétation de La Flagellation du Christ, œuvre de Piero della Francesca réalisée vers 1444.
Il s’agit d’un tableau sur bois de peuplier de 58,4 × 81,5 cm3, célèbre pour sa maîtrise absolue de la perspective, sa complexité géométrique et symbolique. C'est à dessein que ce tableau figure au premier plan du site : il symbolise l'articulation défendue ici entre l'art et la pédagogie.
Car la stratégie de l'énigme, utilisée en art, désigne aussi en pédagogie un mode d'action visant à mobiliser un facteur essentiel : faire émerger le désir d'apprendre, motiver les apprentissages.
" Faire du savoir une énigme, faire du savoir avec de l'énigme " : c'est à quoi s'attachera tout enseignant soucieux de mobiliser l'attention des ses élèves, et telle est aussi la première condition d'un enseignement efficace, comme l'a bien montré Philippe Meirieu dans des pages éclairantes de son ouvrage majeur : "Apprendre ...oui, mais comment " , notamment de la page 91 à 102 et suivantes...(Editions ESF - 1990)
Mais revenons au tableau de Piero della Francesca - La flagellation du Christ - vu par Yves Bonnefoy.
La thèse communément admise est que ce tableau est une commande faite par un cardinal italien en vue d’envoyer l'œuvre au duc d'Urbino pour le convaincre de la nécessité d'une croisade contre les Turcs qui menacent Constantinople (qui s’effondrera en 1453).
Dans cette interprétation, l’homme à la barbe double est un Byzantin venu convaincre le Prince qui est représenté face à lui, richement vêtu, et en en habit
Dans une composition, extraordinairement soignée et complexe, à la géométrie insistante, glissent des personnages magnifiques qui vivent une scène qui devrait être tragique pleine de cris et d’indignation…. mais non. Aucun drame, une beauté détachée et souveraine s’exhale de ce tableau serein qui échappe au drame qu’il décrit. L’étrangeté commence avec les deux espaces distincts qui y sont représentés. A gauche, la salle d’un palais antique : colonnes, marbres, sols polychromes et une petite estrade sur laquelle se tient, presque indifférent, Ponce Pilate. Devant lui, a pourtant lieu le supplice auquel se soumet, impassible, le christ lié à une colonne. A son côté, un assistant du bourreau veille, calmement, au déroulement du supplice. Le bourreau, lui, de dos, le bras levé, s’apprête à fouetter l’indifférence de sa victime tandis qu’un personnage enturbanné qui nous tourne le dos, entièrement vêtu de blanc regarde la scène, en se déhanchant légèrement, sans que sa posture n’exprime la moindre émotion.
La partie droite du tableau dont on pourrait espérer un éclairage comme un commentaire renforce encore l’énigme.
Au premier plan, plus près de nous trois personnages en pied se détachent sur un fond d’architecture profane médiévale. Ils sont en vis-à-vis, comme pour une conversation, mais leurs bouches restent closes. Aucun son. L’un, en carmin est vêtu comme un prince d’autrefois, l’autre est vêtu d’un vêtement bleu somptueusement orné, comme un mondain de l’époque et le troisième, plus jeune, l’est d’une simple tunique rouge, et curieusement, a les pieds nus. Que dire de ce silence, de ces espaces dissociés, de leurs lumières contradictoires, de ces personnages qui, comme les pièces d’un jeu d’échec, glissent, imperturbables, sur la surface. (à suivre) LA STRATEGIE DE L'ENIGME , ou l'art de la pédagogie...

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« Le premier devoir d'une République est de faire des républicains ; et l'on ne fait pas un républicain comme on fait un catholique. Pour faire un catholique, il suffit de lui imposer la vérité toute faite. Pour faire un républicain, il faut prendre l'être humain si petit et si humble qu'il soit (un enfant, un adolescent, l'homme le plus inculte, le travailleur le plus accablé par l'excès de travail) et lui donner l'idée qu'il peut penser par lui-même, qu'il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c'est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d'un maître, d'un directeur, d'un chef quel qu'il soit, temporel ou spirituel. Est-ce qu'on apprend à penser comme on apprend à croire ? Croire, c'est ce qu'il y a de plus facile ; et penser, ce qu'il y a de plus difficile au monde. Pour arriver à juger soi-même d'après la raison, il faut un long et minutieux apprentissage ; cela demande des années, cela suppose un exercice méthodique et prolongé. »
